Homologie (pari) (Guillaume Lecointre)
Première mise en ligne le 3 Février 2025, écrit par Guillaume Lecointre.
Ne pas replacer l’homologie dans le champ opérationnel peut avoir des conséquences fâcheuses. Les créationnismes s’en délectent, comme le fait Jonathan Wells (voir [1] Lecointre, G. (2018a). Les sciences face aux créationnismes. Réexpliciter le contrat méthodologique des chercheurs, 2d éd., Versailles : Quae.) : « Pourquoi les manuels définissent-ils l’homologie comme une similarité due à une ascendance commune, puis déclarent que les homologies sont les preuves de l’ascendance commune, un argument circulaire déguisé comme une preuve scientifique ? » Il y a ici, certes, un travestissement de la façon dont les scientifiques utilisent la notion d’homologie. Mais si ce travestissement fonctionne, c’est que le concept, dans son opérationnalité, est souvent mal enseigné et mal compris. Dans la pratique « standard » de la systématique phylogénétique, une hypothèse d’homologie est d’abord un pari : partant de structures qui se ressemblent ou qui sont connectés aux structures voisines de la même façon (critères II, III ou même V) on fait initialement le pari qu’elles sont héritées d’un ancêtre commun (hypothèse d’homologie ou homologie primaire de de Pinna [2]Pinna, M. C. (1991). Concepts and tests of homology in the cladistic paradigm. Cladistics, 7(4), 367-394.). Mais ce pari, on peut le perdre ou le gagner. Lorsque l’on classe un échantillon d’espèces, on fait ce pari sur des dizaines, voire des centaines de caractères en même temps. Ces caractères sont inscrits dans un tableau à double entrée qu’on appelle une « matrice », et qui comprend en ligne les taxons à classer et en colonne les caractères, les cases étant remplies de symboles (généralement 0, 1, 2, etc.) en fonction de l’état dans lequel on trouve chaque caractère dans chaque taxon. L’exercice décisif, c’est la construction du graphe connexe non cyclique orienté, qu’on appelle de manière plus courte un « arbre ». Parmi l’ensemble des arbres mathématiquement possibles, cette construction s’opère par le choix de celui qui maximise la contiguïté des états de caractères identiques. Cet arbre est alors le plus parcimonieux en hypothèses de transformation de caractères, car plus les états identiques sont rassemblés par un segment commun à plusieurs taxons qui le portent, moins il est besoin d’hypothèses d’acquisition de cet état le long des branches de l’arbre. Il est bon ici de remarquer que partout en science, et même dans une enquête de police, cohérence et parcimonie sont de facettes de la qualité d’une inférence. Pris globalement, l’arbre choisi est celui qui maximise la cohérence hiérarchique entre ces multiples caractères, c’est-à-dire la congruence de ceux-ci à l’arbre (au sens de leur ajustement à celui-ci, la congruence étant un cas particulier de cohérence). Et l’arbre le plus cohérent, c’est-à-dire le plus parcimonieux (le plus économe en hypothèses de transformation) va montrer que pour certains caractères, on a gagné le pari, tandis que pour d’autres, on l’a perdu. Dans le premier cas, l’homologie sera confirmée et l’on parlera d’homologie secondaire [3]Pinna, M. C. (1991). Concepts and tests of homology in the cladistic paradigm. Cladistics, 7(4), 367-394. ou d’homogénie [4] Lankester, E.R. (1870). On the use of the term homology in modern zoology, and the distinction between homogenetic and homoplastic agreements, Ann. Mag. Nat. Hist., (4)6, 34-43., deux façons de parler d’homologie historique. Ces homologies deviendront alors des arguments (les synapomorphies) en faveur de l’apparentement exclusif des espèces qui les portent. S’il y a un pari que l’on peut gagner ou perdre, il n’y a donc pas de circularité telle que prétendue par Wells. Pour reprendre ses termes, nous dirions que l’homologie est une similarité potentiellement due à une ascendance commune (pari), et qu’elles ne sont les preuves de l’ascendance commune qu’une fois le schéma d’argumentation qu’est l’arbre phylogénétique a été obtenu, montrant quels sont les paris « gagnés » (au demeurant aussi ceux qu’on a « perdus »).
References
↑1 | Lecointre, G. (2018a). Les sciences face aux créationnismes. Réexpliciter le contrat méthodologique des chercheurs, 2d éd., Versailles : Quae. |
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↑2, ↑3 | Pinna, M. C. (1991). Concepts and tests of homology in the cladistic paradigm. Cladistics, 7(4), 367-394. |
↑4 | Lankester, E.R. (1870). On the use of the term homology in modern zoology, and the distinction between homogenetic and homoplastic agreements, Ann. Mag. Nat. Hist., (4)6, 34-43. |
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